Louis Germond. reduit

Compassion, lumière et prière. Actualité de la spiritualité de Louis Germond.

Compassion, lumière et prière. Tels sont trois thèmes de la spiritualité de Louis Germond que je voudrais développer. Qu’avait-il pensé lorsque, jeune étudiant en théologie, son ami Henri Juvet lui a déclaré sur le plateau de Saint Loup : « Dieu aura pitié de ce coin de terre. La lumière qui jadis brilla ici se rallumera. Cette maison où l’on s’amuse aujourd’hui deviendra une maison de prière. Je ne le verrai pas, mais toi, Louis, tu le verras ! »

 Cette prophétie l’habitait-il, 20 ans plus tard, le 19 décembre 1842 – il y a exactement 175 ans – lorsqu’il fonda l’Institution des diaconesses d’Echallens ? Et aussi, dix ans plus tard, quand celle-ci a reçu la grande maison de Saint Loup ?

Reprenons ces trois mots !

Compassion : Dieu aura pitié de ce coin de terre.

Lumière : la lumière qui jadis brilla ici se rallumera.

Prière : cette maison deviendra une maison de prière

 

Compassion

La spiritualité de Germond s’enracine d’abord dans l’amour de Dieu.

Avant d’être un appel à vivre, la compassion est le visage même de Dieu révélé en Jésus-Christ.

Dans les vingt rapports que Germond a écrits durant les années de sa direction de l’Institution des diaconesses revient sans cesse sous sa plume sa reconnaissance envers l’amour et la fidélité de Dieu qui a eu « pitié de ce coin de pays ».

Germond insiste sur la primauté de l’amour de Dieu et de sa grâce. Nous pouvons vivre le double commandement de l’amour parce qu’il nous a aimés en premier :  

« Quel est selon l’évangile, le principe du dévouement chrétien ? L’amour, oui l’amour pour celui qui nous a pleinement sauvés par un effet de sa pure grâce. Nous l’aimons parce qu’il nous a aimés le premier. L’âme qui a cru en Jésus, se sent pressée d’offrir tout ce qu’elle possède au Maître adorable de qui elle a tout reçu ». [2]

Habité par la compassion du Christ

Alexandre Vinet a été frappé par la personnalité de Germond. Il écrit : « Je n’ai pas connu d’âme plus franche et plus cordiale. D’une grande ferveur, il assoit ses croyances sur une large base : il ne veut savoir que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié ».[3]

Vinet a perçu le secret de sa vie : sa communion avec le Crucifié ! C’est sa compassion qui l’habite. Il veut vivre « l’Evangile saisi par le cœur ». [4] Il vit ainsi la logique de l’incarnation. Se rendre proche de tous, particulièrement de ceux qui souffrent, parce que Dieu s’est rendu proche de nous en Christ :

« A l’œuvre ! disciples de Celui qui étant riche s’est fait pauvre pour vous, afin que par sa pauvreté vous fussiez rendus riches ! Faites voir au monde le signe qu’il vous demande ! Le monde a jeté au christianisme un insultant défi : il l’accuse d’être impuissant à guérir les plaies dont la société est rongée, et en particulier la misère et le mécontentement de la classe pauvre. Force nous est d’accepter ce défi et d’y répondre. Il s’agit de montrer ce que l’Evangile est capable d’accomplir pour le soulagement de toutes les souffrances physiques et morales. Mais souvenons-nous que, pour être salutaire, l’action de la charité ne doit pas s’exercer à distance. Approchons-nous du pauvre comme Jésus s’est approché de nous ; cherchons-le ; adoptons-le ; faisons nous pauvre avec lui, afin de le relever. »[5]

Confiance dans l’adversité

C’est son union au Christ crucifié qui lui donne de garder confiance dans l’adversité, de continuer son chemin malgré ceux qui trahissent, de faire face aux nombreuses accusations qu’il doit essuyer. Dans son sixième rapport, il écrit ceci depuis Lovatens, son lieu d’exil ou de « relégation » :

« Nous en avons la ferme conviction : une institution qui a sa racine en Jésus-Christ vivra. La colère de l’ennemi et quelques échecs passagers ne la font pas mourir ; elle a en elle-même le moyen de réparer ses pertes ; les secousses de l’orage poussent ses racines toujours plus avant dans le sol ». [6]

 

Lumière

À Echallens commence un « printemps d’amour chrétien tout embaumé d’austère poésie » ; « charité, humilité, espérance : trois flambeaux qui mettaient sur leur route une lumière surnaturelle », écrit Julie de Mestral Combremont, auteur de la première chronique de Saint Loup.[7]

J’aimerais souligner trois sources de cette lumière qui vient d’en haut :

La lumière de la Parole de Dieu

Arrivée des diaconesses à St Loup Les diaconesses sur le site de St Loup La première source est la Parole de Dieu, lue, annoncée et vécue. Elle ne retourne pas vers Dieu sans avoir arrosé les cœurs :

« Des indices nombreux font voir que la sainte Parole, lue chaque jour à ces chers malades, avec prières, ne retourne pas à Dieu sans effet. Bien des cœurs paraissent avoir été touchés, consolés, changés par la puissance de l’Evangile. Ces bénédictions nous encouragent et nous soutiennent ; c’est la manne que Dieu fait pleuvoir sur notre solitude, et qui, d’un travail austère de sa nature, nous fait un travail plein de consolation et de douceur ».[8]

Dans l’asile pour enfants de Ferreyre, Germond remarque combien la lecture des Ecritures est bienfaisante :

« Quand la famille souffreteuse est réunie autour de la Sainte Bible, il est touchant de contempler la douce joie qui éclaire les physionomies attentives. Chers enfants, ce livre est bien pour tous, mais il semble alors qu’il ait été écrit exprès pour vous ».[9]

La lumière du Christ dans le pauvre

Une lumière jaillit aussi de l’amour envers les pauvres (cf Esaïe 58). Cette lumière c’est la présence du Christ caché dans le malade. Marqué par la pensée de Saint Vincent de Paul et par l’exemple des sœurs de la charité, tout comme par l’initiative du pasteur Théodore Fliedner, fondateur de la première maison de diaconesses, Germond affectionne le grand texte de Matthieu 25 : « Tout ce que vous avez fait au plus petit de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ». (v. 40)

« Soigner Jésus-Christ lui-même dans les pauvres ! quel plus glorieux privilège pourrait nous être offert ? Une si belle tâche semble être faite pour des anges plutôt que pour des créatures aussi indignes que nous le sommes. J’imagine du moins que, si un ange avait à choisir entre tous les emplois de la terre, il n’en choisirait pas d’autre que celui-là ».[10]

Sa devise était : « Qu’importe qu’on m’aime, pourvu que j’aime ».

Et il semble qu’il a vécu ce qu’il enseignait : « Voilà la charité qui monte, » a dit quelqu’un qui le voyait sur la chaire de S. Pierre à Genève.[11]

La lumière de la communion

La troisième source de lumière est la communion suscitée par la vie fraternelle. Louis Germond et son épouse Louise ont insufflé un esprit de famille dans la communauté qu’ils ont fondée. Il faut souligner la collaboration de Louise qui a répondu avec son mari à la vocation divine. On les appelait d’ailleurs « papa et maman Germond ». 

« Un jour la voix puissante de cet Évangile s’élèvera par dessus tous les bruits pour dire aux hommes : Aimez-vous les uns les autres comme Christ vous a aimés ; cette voix sera entendue et les hommes viendront joindre leurs mains fraternelles aux pieds du Crucifié ».[12]

Constamment Germond rend grâce à Dieu pour cette lumière de la communion fraternelle qu’il a allumé à Saint Loup et appelle à vivre un vrai esprit de famille. Voici deux textes parlants :

« Lorsque nous jetons les yeux sur cette famille de sœurs qu’un même esprit de foi et de charité a rassemblés dans cette demeure de la douleur, nous ne pouvons que bénir l’Auteur de toute grâce ».[13]

« Ce que nous désirions beaucoup plus que de voir (cet établissement) grandir et s’étendre, c’était d’y voir régner un véritable esprit de famille, avec les rapports simples, affectueux et faciles qu’il saurait créer et nourrir. Aussi n’aspirions-nous pas à rassembler au-delà de trente diaconesses, car il nous semblait difficile de conserver dans l’établissement l’esprit de famille si ce nombre était dépassé ».[14]

A travers l’amour envers les pauvres, l’écoute de la Parole et la vie fraternelle dans l’amour réciproque, la présence du Christ s’établit dans la communauté, « la lumière de la lumière » :

« Dans une institution de cette nature, plus que dans toute autre, c’est l’esprit qui donne la vie. Que l’amour du Christ fasse circuler au milieu d’elle une charité large, élevée, abondante, généreuse ; qu’il en bannisse à toujours … le poison de l’esprit de secte et de parti, Dieu continuera d’habiter au milieu d’elle, et avec Dieu elle aura toute chose ».[15]

 

Prière

« Cette maison où l’on s’amuse aujourd’hui deviendra une maison de prière. Je ne le verrai pas, mais toi, Louis, tu le verras ! » Cette prophétie d’Henri Juvet habitait-elle l’esprit de Louis Germond, quand, chaque jour il dirigeait deux services religieux, l’un pour les hommes, l’autre pour les femmes ?[16]

De plus les sœurs offrent aussi prières et lectures de la Parole de Dieu. Germond désire que leur action « soit douce et sans bruit comme celle de la rosée sur les plantes malades ».

Dans leur ministère les diaconesses sont des témoins privilégiés de l’œuvre conjuguée de la Parole de Dieu et de la prière :

« Le doux sourire de l’affection et de la confiance vient peu à peu se dessiner sur les lèvres (des malades) ; ils acceptent d’abord, puis ils recherchent cette Parole de Dieu qui rend l’âme contente en la conduisant au Sauveur », écrit-il dans son premier rapport.[17]

            Ce qui le réjouit par dessus tout est la prière des enfants, touchés par la grâce dans les « asiles » ou bien qui prient pour l’œuvre des diaconesses :

« Si Luther a pu s’écrier un jour, plein de joie : « Les enfants prient, notre cause est gagnée », nous avons eu lieu plus d’une fois pendant l’année, de pousser la même exclamation : car plusieurs réunions d’enfants nous ont envoyé le fruit de leurs petites épargnes, en nous assurant qu’ils priaient pour les diaconesses ».[18]

Le plus grand miracle auquel Germond assiste est la prière de celui qui se détourne de lui-même pour se tourner vers Dieu, dans une vraie repentance :

« La prière du pécheur repentant franchit rapidement les espaces ; elle monte au trône de la grâce, et la paix de Dieu en est la réponse. Nous avons eu plus d’une fois le privilège d’être, au chevet de nos malades, témoin de ces miracles de prompt exaucement. Si le plus souvent l’œuvre de Dieu est lente et si la bonne semence met longtemps à germer, souvent aussi « En peu d’heures, Dieu labeure ».[19]

 

Conclusion

Le but de Saint Loup selon Louis Germond est d’apporter l’Evangile total, pour le corps et l’esprit. C’est un but missionnaire, auprès et au loin, partagé par les autres maisons de diaconesses.

« La bienfaisance la plus généreuse est encore incomplète, si elle n’a pas pour but le relèvement moral du pauvre aussi bien que son soulagement matériel. Or ce double but est précisément celui que se propose l’institution des diaconesses. Aussi voyons-nous cette institution s’implanter rapidement dans la plupart des pays protestants. Les hôpitaux chrétiens commencent même à devenir un puissant auxiliaire des missions les plus lointaines ».[20]

Compassion, lumière et prière. Ces trois mots résument les dons que Dieu a versés dans l’Eglise à travers ce mouvement.

Ces trois dons apportent le Christ, convertissent les cœurs et unissent les chrétiens. Ils suscitent en effet « une œuvre d’alliance évangélique, qui, en plaidant la cause d’un christianisme pratique, doit contribuer à propager l’esprit de paix, de concorde et d’amour parmi tous les croyants, à quelque dénomination qu’ils appartiennent ». [21]

« Un tel mouvement, tout spontané, se manifestant dans les différentes églises protestantes, est assurément un des signes remarquables du temps présent », remarque Germond.[22]

Quels sont les signes des temps d’aujourd’hui !

Notre monde a plus que jamais besoin de compassion, de lumière et de prière. Toutes ces valeurs restent actuelles. Certes elles sont vécues aujourd’hui à Saint Loup dans des formes différentes de l’époque de Germond. Non seulement par les sœurs mais aussi grâce à la collaboration de nombreux bénévoles ou salariés : dans l’accueil et l’écoute des personnes à la recherche d’un sens à leur vie, d’un temps de prière et de ressourcement.

Louis Germond a appelé à deux conversions : une conversion « verticale » d’un retour à Dieu par Jésus-Christ et une conversion « horizontale » par un engagement envers le prochain, à la suite du Christ. L’Eglise a besoin d’entendre ce message d’un Dieu qui se rend proche de nous pour que nous nous rendions proches les uns des autres. La seule logique possible pour l’Eglise est celle de l’incarnation. Telle est l’actualité de la spiritualité de Louis Germond.

[1] Julie de Mestral Combremont, Vies données. Vies retrouvées: les diaconesses de Saint-Loup, Lausanne, Payot, 1932, p. 15

[2] Etablissement des Diaconesses d’Echallens. 3e rapport. Imprimerie Bonamici et Compagnie, Lausanne, 1845, p. 6

[3] Julie de Mestral Combremont, Vies données… p. 17

[4] Etablissement des Diaconesses d’Echallens. 8e rapport. Imprimerie de J.S Blanchard Ainé, Lausanne, 1851, p. 12

[5] Etablissement des Diaconesses d’Echallens. 5e rapport. Imprimerie de J.S Blanchard Ainé, Lausanne, 1847, p. 11s

[6] Etablissement des Diaconesses d’Echallens. 6e rapport. Imprimerie de J.S Blanchard Ainé, Lausanne, 1848, p. 5

[7] Julie de Mestral Combremont, Vies données…p. 24

[8] Etablissement des Diaconesses de S. Loup, près de la Sarraz, précédemment à Echallens, 12e rapport. Imprimerie Genton, Voruz et Vinet, Lausanne, 1855, p. 9

[9] Etablissement des Diaconesses de S. Loup, près de la Sarraz, précédemment à Echallens, 19e rapport. Imprimerie Genton, Voruz et Dutoit, Lausanne, 1862, p. 40

[10] Etablissement des Diaconesses d’Echallens. 2er rapport. Imprimerie et librairie de Marc Ducloux, Editeur, Lausanne, 1844, p. 11

[11] Julie de Mestral Combremont, Vies données … p. 17s

[12] Etablissement des Diaconesses d’Echallens. 2er rapport. Imprimerie et librairie de Marc Ducloux, Editeur, Lausanne, 1844, p. 12

[13] Etablissement des Diaconesses d’Echallens transféré à S. Loup, près de la Sarraz. 11e rapport. Imprimerie Genton, Voruz et Vinet, Lausanne, 1854, p. 9

[14] Etablissement des Diaconesses de S. Loup, près de la Sarraz, précédemment à Echallens. 17e rapport. Imprimerie Genton, Voruz et Dutoit, Lausanne, 1860, p. 5

[15] Etablissement des Diaconesses de S. Loup, près de la Sarraz, précédemment à Echallens, 20e rapport. Imprimerie Genton, Voruz et Dutoit, Lausanne, 1863, p. 10

[16] Etablissement des Diaconesses d’Echallens transféré à S. Loup, près de la Sarraz. 11e rapport. Imprimerie Genton, Voruz et Vinet, Lausanne, 1854, p. 6

[17] Etablissement des Diaconesses d’Echallens. 1er rapport. Imprimerie et librairie de Marc Ducloux, Editeur, Lausanne, 1843, p. 14

[18] Etablissement des Diaconesses d’Echallens. 9e rapport. Imprimerie de J.S Blanchard Ainé, Lausanne, 1852, p. 4

[19] Etablissement des Diaconesses de S. Loup, près de la Sarraz, précédemment à Echallens, 19e rapport. Imprimerie Genton, Voruz et Dutoit, Lausanne, 1862, p. 8

[20] Etablissement des Diaconesses d’Echallens. 9e rapport. Imprimerie de J.S Blanchard Ainé, Lausanne, 1852, p. 11

[21] Etablissement des Diaconesses d’Echallens transféré à S. Loup, près de la Sarraz. 11e rapport. Imprimerie Genton, Voruz et Vinet, Lausanne, 1854, p. 13

[22] Etablissement des Diaconesses de S. Loup, près de la Sarraz, précédemment à Echallens, 19e rapport. Imprimerie Genton, Voruz et Dutoit, Lausanne, 1862, p. 4


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