appartenir au Christ

La ligne directrice de la spiritualité de Jean Calvin: « Nous ne nous appartenons pas »

Comment vivra celui qui a fait l’expérience de l’amour de Dieu et qui y a répondu par l’offrande de son cœur ? Il ne vivra plus pour lui-même mais pour Dieu !

Si l’axe de la spiritualité de Calvin est de répondre à l’amour divin, sa ligne directrice est de ne plus s’appartenir soi-même, mais à Dieu.

Elle consiste à ne plus faire sa propre volonté, mais celle de Dieu. Une affirmation vraiment forte dans notre culture moderne qui magnifie la liberté et l’indépendance. Comment la comprendre ? 

Il faut citer ici une phrase célèbre, concise comme Calvin savait les ciseler : « Nostri non sumus…Dei sumus », ou dans la traduction française qu’il a donnée : « Nous ne sommes point nôtres, mais appartenons au Seigneur ». [1]

Il vaut la peine de citer l’ensemble du texte et de goûter à la saveur d’une langue superbe que même Bossuet a reconnue. Je le cite dans la nouvelle édition en français moderne :

« Nous ne nous appartenons pas (1 Corinthiens 6,19) ; que notre raison et notre volonté ne dominent pas dans nos réflexions et nos décisions. Nous ne appartenons pas ; n’ayons pas pour objectif ce qui nous plaît selon la chair. Nous ne nous appartenons pas ; oublions-nous nous-mêmes autant que possible, ainsi que tout ce qui nous entoure. Au contraire nous sommes au Seigneur ; que sa volonté et sa sagesse dirigent nos actions. Nous sommes au Seigneur ; que tous les aspects de notre vie soient orientés vers lui comme étant notre unique objectif. O que de bienfaits a reçu la personne qui, sachant qu’elle ne s’appartient pas, a renoncé à l’autonomie et à la domination de sa propre raison pour les remettre à Dieu ! Car la satisfaction d’être maître à bord est la pire peste qui puisse atteindre les êtres humains pour les perdre et les couler ; aussi l’unique havre de salut est-il de ne pas être sage à ses propres yeux, de ne rien attendre de soi, mais seulement de suivre le Seigneur ». [2]

Que signifie ne pas s’appartenir, mais au Seigneur ?

On l’a caractérisé par les termes oubli de soi, décentrement, désappropriation, renoncement à soi-même ou encore dépossession. Un mot me semble résumer la pensée de Calvin : humilité.

L’humilité est « un abaissement du cœur, sans feintise, procédant d’un droit sentiment de notre misère et pauvreté, dont notre cœur soit ainsi abattu » (IC 3,12,6). Elle signifie suivre Jésus humble jusqu’à la croix : elle est une discipline de la croix (IC 3,8,14). Elle met Dieu en premier et cherche sa gloire seule.

Elle reconnaît que Dieu est créateur, majestueux et l’homme sa créature qui dépend de lui. Devant sa majesté, il est « comme un petit vers ». (IC 2,6,4)  Seule l’humilité permet de s’ouvrir à l’œuvre de Dieu en nous. L’Esprit saint agit dans la personne humble. Elle doit être la première qualité de tout dirigeant dans l’Eglise et la société. (IC 4,7)

Faire la volonté de Dieu

Qu’implique « appartenir au Seigneur » ? Avant tout rechercher la volonté de Dieu et la réaliser grâce à l’Esprit de Dieu qui anime la vie du croyant. « Ne vouloir rien de soi, mais suivre seulement le Seigneur »… « Se convertir entièrement et se soumettre à l’Esprit de Dieu » (IC 3,7,1)

Comment comprendre la volonté de Dieu ? Calvin distingue entre la volonté secrète de Dieu par laquelle Dieu mène tout à sa fin, selon son amour insondable. Cette volonté « décrétive », cachée, de Dieu nous est incompréhensible. Mais sa volonté « prescriptive », révélée, est celle qu’il nous fait connaître dans sa Parole, où il nous appelle et à travers laquelle il renouvelle notre cœur par la justification par la foi. (IC 1,17,2-6).[3]

Faire la volonté conduit à mettre « une mélodie et accord entre la justice de Dieu et notre obéissance » (IC 3,6,1). Elle est source de bénédiction :  « la bénédiction de Dieu ne vient en aide qu’a ceux qui sont droits dans leurs pensées et dans leurs comportements ; aussi celui qui la désire doit-il se tenir éloigné de toute iniquité et de toute mauvaise pensée. »  (3,7,9)

Q’appartenir au Seigneur soit la ligne directrice de la spiritualité de Calvin a été compris de son vivant même. Le catéchisme de Heidelberg, géniale restitution de la substance de sa pensée et texte réformé le plus répandu, dit en effet dans sa première question :

« Quelle est ton unique consolation dans la vie et dans la mort ?

C’est que, de corps et d’âme, tant dans la vie que dans la mort (Rom 14,7-8), j’appartiens, non pas à moi-même (1 Cor 6,19), mais à Jésus-Christ, mon fidèle Sauveur (1 Cor 3,23)… ».

 


[1] Institution de la Religion chrétienne (abrégé en IC) 3,7,1

[2] IC 3,7,1 d’après l’édition de Kerygma – Excelsis, Aix en Provence, Charols, 2009.

[3] Alors que Luther accentue fortement la justification par la foi seule, Calvin, tout en affirmant également cette justification, met aussi en lumière un 3e usage de la loi, à côté de l’usage théologique d’accusation menaçante et de l’usage civil. La loi est également règle de vie pour le chrétien. Elle est « un très bon instrument pour leur faire mieux et plus certainement de jour en jour entendre quelle est la volonté de Dieu, à laquelle ils aspirent, et les confirmer en la connaissance de cette volonté ». IC 2,7,12


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