Rêve de grandeur

Ce troisième dimanche de l’Avent nous invite, à travers le prophète Esaïe à la joie. De manière très poétique, Dieu dit à tous ceux qui vivent dans l’exil, comme l’était le peuple de Dieu, il y a plus de 2500 ans :

« Que soient pleins d’allégresse désert et terre aride, que la steppe exulte et fleurisse; comme l’asphodèle qu’elle se couvre de fleurs, qu’elle exulte de joie et pousse des cris, la gloire du Liban lui a été donnée, la splendeur du Carmel et de Saron. C’est eux qui verront la gloire du Seigneur, la splendeur de notre Dieu ».(Es 35,6-10)

Mais comment se réjouir quand on est malade, blessés à cause d’une séparation, faible, fatigué, désillusionné, exilé, sous les bombes, victime du terrorisme, etc… comment espérer quand on a été trompé, manipulé et qu’on est las, désabusé, sans ressort, découragé ? Comment un enfant peut-il se réjouir dans un camp de réfugié, alors que sa tente ne le protège ni du froid, ni de l’humidité ?

Pourtant le prophète présente la vision d’un monde nouveau où le boiteux bondit comme un cerf, où la langue du muet crie sa joie, où les yeux de l’aveugle se dessillent, où les oreilles du sourd s’ouvrent. Le prophète annonce qu’un chemin nouveau va se dessiner où tous les exilés pourront retrouver leur famille et leur maison, sans frontière pour exclure, sans violence pour fuir.

Mais tout cela n’est-il pas un rêve ? Un rêve d’autant plus fort que l’on vit dans une situation qui contredit tout ce qui est annoncé. Un de ces rêves que Karl Marx a critiqué, voyant dans la religion l’opium du peuple, qui nous fait sortir de la réalité qu’il faut transformer. Ce rêve nous anesthésie et nous fait supporter un moment la souffrance, mais il est irréel. C’est ainsi que beaucoup ont rejeté la religion, parce qu’elle serait sans rapport avec la réalité.

Peut-être que Jean-Baptiste au fond de sa prison se posait des questions semblables ? La promesse d’Esaïe se réalise-t-elle ? Après avoir rencontré Jésus au bord du Jourdain et avoir témoin de la révélation de sa divinité, le Baptiste doute : est-ce vraiment lui, le Messie, ou devons nous en attendre un autre ? Il est étonnant de constater qu’un témoin aussi privilégié que Jean puisse ainsi tout remettre en question. Si Jean, dont Jésus nous dit qu’il n’y a pas d’homme plus grand que lui, en arrive à douter à ce point, pourquoi serions-nous meilleurs que lui ? (Mat 11,2-11)

Il est bon que ce doute de Jean-Baptiste nous accompagne sur ce chemin vers Noël. Sa question qu’il crie depuis le fond de sa prison – « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous attendre un autre » – est sans doute celle de millions de personnes dans notre Occident sécularisé. Ici nous ne vivons ni dans les prisons d’Hérode, ni dans celle de Nelson Mandela, ni dans celles du dictateur du Nord de la Corée. Quelles sont les prisons actuelles qui tuent le sens de Dieu ? Celles du matérialisme et du consumérisme qui recouvrent de leur vernis le sens de Noël ? Celui qui est venu à Bethléem dans la simplicité et l’humilité d’un enfant est remplacé par toutes sortes d’ersatz.

Hier, j’ai été dans un grand magasin à Lausanne pour acheter des cadeaux de Noël à mes petits enfants. J’en suis ressorti avec un immense sac. Dehors un mendiant m’a regardé avec insistance, je lui ai souri et ai détourné la tête et ne me suis pas arrêté. Pourquoi ? Je me rendais compte du fossé qui me séparait de lui ; cela m’a fait mal de n’avoir pas eu le courage de m’arrêter et de lui parler avec simplicité.

« Es-tu celui qui doit venir » ? Jésus répond à Jean avec les images du prophète Esaïe pour lui faire comprendre qu’il est celui que tous les prophètes annonçaient et qu’il accomplit toutes les prophéties : « Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez : les aveugles voient et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres ».

 

Pas un rêve

Jésus dit au Baptiste que son espérance au fond de la prison n’est pas un rêve, la prophétie qu’il connaît par cœur est en train de se réaliser. Dieu est venu au milieu de son peuple et marche avec lui pour ouvrir un chemin nouveau.

Dès lors quand nous lisons les prophètes de l’Ancien Testament, nous les lisons en mettant les lunettes du Christ. « Tout ce qui est contenu dans les livres saints annonce par des paroles, révèle par des faits et établit par des exemples l’avènement de notre Jésus-Christ notre Seigneur », a dit Hilaire de Poitier.

Jésus au milieu de nous est l’Emanuel, Dieu avec nous, l’accomplissement des prophéties. Nous n’avons pas à en attendre un autre. Chaque ligne des prophètes, celles qui concernent l’avenir d’Israël et du monde, nous les lisons désormais en relation avec l’Emanuel.

Aujourd’hui, Jésus qui est venu dans l’humilité de la crèche et de la croix et qui est ressuscité et vit dans la gloire, continue à vivre au milieu de nous par son Esprit. Cela n’est pas un rêve ni une illusion. Ceux qui ont goûté par l’Esprit saint à sa présence, savent qu’il n’y a rien de plus réel, de plus beau que sa douce et forte action dans nos cœurs et parmi nous.

Si on a goûté une seule fois à sa tendresse, on la désire ensuite à chaque instant et rien ne pourra la remplacer. Si on perd le contact avec lui par nos fautes ou notre distraction, on le recherche ensuite avec des pleurs. C’est par l’humilité que nous pouvons toujours le rejoindre, car lui il nous a rejoint à travers son humilité. Nous allons à lui comme il est venu à nous. Prendre le chemin de Bethléem avec Marie et Joseph durant ce temps de l’Avent, c’est marcher dans l’humilité, afin de rencontrer le regard doux et miséricordieux de Jésus, qui nous attend. Jamais il ne rejette celui qui vient à lui avec humilité, même si celui-ci a commis de grandes fautes.

 

Le plus grand des prophètes

Jésus dit ensuite quelque chose d’extraordinaire sur Jean-Baptiste : il est le plus grand des prophètes, et même plus qu’un prophète.

Si nous étions dans une Eglise orthodoxe, cela nous serait rappelé à chaque culte, car il y aurait devant vous les quatre icônes fondamentales, tout à gauche celle de Jean-Baptiste, le plus grand des prophètes : il représente l’Ancien Testament. Puis celle de Marie avec Jésus enfant, qui représente la charnière entre l’Ancien et le Nouveau Testament, puis celle du Christ ressuscité qui parle à son Eglise à travers sa Parole : il est toujours représenté une Bible ouverte dans ses mains. Enfin l’icône du saint à qui l’Eglise est consacrée, qui représente la vie du Saint Esprit dans l’Eglise.

Mais je plaisante, car nous sommes dans une église réformée, qui se caractérise par une grande simplicité et humilité, comme celle de Jésus à Bethléem. Dans cette chapelle, il n’y a que trois objets : une Bible, une Croix et une Table. Une simplicité qui nous centre sur l’essentiel : la Parole qui éclaire notre âme, le don de la vie de Jésus pour nous réconcilier en Dieu et le désir de communion du Ressuscité avec nous tous.

Revenons à Jean-Baptiste, dont Jésus dit qu’il est le plus grand des prophètes et même le plus grand des fils d’Adam. Mais Jésus ajoute tout de suite après avoir dit cette affirmation extraordinaire : « le plus petit dans le Royaume de Dieu est plus grand que lui ». Pourquoi cette provocation ?

N’est-ce pas parce que Jésus habite dans les plus petits, comme il le dit lui-même : « Tout ce que vous avez fait aux plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » ? Est-ce que cela veut dire que dans ce mendiant dont j’ai croisé hier le regard, j’aurais pu rencontrer une personne plus grande que Jean-Baptiste ?

 

Devenir grand par l’humilité

Comment alors devenir grand dans le Royaume de Dieu ? En vivant Bethléem, en vivant dans l’humilité, le service, l’attention aux plus petits et j’ajouterai aussi en pratiquant la vertu de la patience.

C’est le message de Jacques aux chrétiens : Soyez patients, soyez patients, soyez patients… Au moment voulu, Dieu interviendra et vous élèvera, mais il rabaisse les orgueilleux et les impatients. (Jac. 5,7-17)

Devenir grand en vivant aussi les signes de ce Royaume que Jésus annonce et qu’il nous demande de transmettre : « Allez et rapportez ce que vous voyez » : annoncer l’Evangile aux pauvres, accomplir des miracles de compassion et de justice, se mettre au service des plus faibles, prier pour les malades, donner notre amitié à ceux qui sont éprouvés, consoler ceux qui pleurent, se montrer tendre envers celui qui est abandonné.

Bienheureux celui qui accueille ces signes : il sera grand et la joie et la paix de Noël le feront vivre. Le désert de son cœur se couvrira de fleurs ; il poussera des cris de joie, la gloire du Liban, la splendeur du Carmel et de Saron lui seront données.


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