Le discernement dans les Écritures

« Le discernement, c’est la vertu de prudence, l’intelligence et la raison pratique », dit la Traduction œcuménique de la Bible.1

Grande spécialiste du discernement, la spiritualité jésuite explique que « discerner, c’est pouvoir reconnaître distinctement, c’est-à-dire sortir du brouillard, ou encore percevoir avec acuité les enjeux d’une question. Puis peser, faire un tri par rapport à ce qui est essentiel, important ou urgent, et enfin décider.

Il est possible, à ce moment-là, d’entendre, comme une brise légère, le Seigneur nous dire : « Fais un pas et je marcherai dedans ».2

 Mais que disent les Écritures à son sujet ?

En consultant la Concordance de la TOB aux entrées « Discernement » et « Discerner », on constate que ces mots traduisent plusieurs termes hébreux et grecs. Ils fnt partie du champ lexical de la connaissance et de la compréhension.

Voici un essai de synthèse de la riche signification de ce thème qui nous introduit au cœur de la vie chrétienne.

 

1. Le discernement, un attribut de Dieu

« De loin tu discernes mes projets », s’émerveille le psalmiste devant le mystère de notre personnalité humaine (Ps 139,2)

« Dieu discerne le chemin de la sagesse, il sait où elle réside » dit aussi à Job un de ses amis (Job 28,23,27)

Quant à David, il demande à son fils Salomon de « connaître le Dieu de ton père, et de le servir d’un cœur intègre et d’une âme empressée, car le Seigneur sonde tous les cœurs et discerne toute forme de pensée » (1 Chr 28,9).

Et cette parole magnifique de Jean : « Dieu est plus grand que notre cœur et il discerne tout ». Par conséquent on peut tout lui remettre quand nous notre cœur est troublé (1 Jean 3,20).

 

2. Le discernement, un don de l’Esprit

Créé à l’image de Dieu, l’être humain a aussi la capacité de discerner. Mais son discernement est brouillé par des passions. C’est pourquoi le vrai discernement est un don de l’Esprit saint.

« En réalité dans l’homme c’est le souffle, l’inspiration du Puissant qui rend intelligent. Être un ancien ne rend pas sage et les vieillards ne discernent pas le droit », s’exclame un autre ami de Job (Job 32,8-9)

Le prophète Daniel confesse : « C’est lui qui fait alterner les temps et les moments ; il renverse les rois et élève les rois ; il donne la connaissance à ceux qui savent discerner » (Dan 2,21)

Quand Pierre lui a dit « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mat 16,16), Jésus a discerné que sa réponse ne venait pas de l’humanité de Pierre, mais de la grâce de l’Esprit saint.

C’est surtout l’apôtre Paul qui inclut le discernement dans la liste de dons de l’Esprit mentionnés en 1 Corinthiens 12,4-11; il l’appelle « le discernement des esprits ». Je reviendrai sur ce texte important.

 

3. Le discernement, un don des temps messianiques

Sur le nouveau David annoncé par le prophète Esaïe reposera l’Esprit du Seigneur : « Un esprit de sagesse et de discernement, de conseil et de vaillance » (Es 11,2). Paul voit l’accomplissement de ce passage en Jésus-Christ (Rom 15,12)

Le discernement est donné à Israël, de manière collective. Il est le serviteur que Dieu a choisi : « mes témoins à moi, c’est vous, mon serviteur, c’est vous que j’ai choisis afin que vous puissiez comprendre, avoir foi en moi et discerner que je suis bien tel : avant moi ne fut formé aucun dieu et après moi il n’en existera pas » (Es 43,10).

Ce discernement concerne donc la nature même de Dieu. En revanche les idolâtres ne peuvent le discerner : « ils ne comprennent pas, ils ne discernent pas, car leurs yeux sont encrassés, au point de ne plus voir, leurs cœurs le sont aussi, au point de ne plus saisir » (Es 44,18). Ce culte des idoles est en effet une tromperie selon Esaïe (44,19).

Le peuple de Dieu, dans certaines étapes de son cheminement, manque de discernement : « Nul en son cœur ne fait retour à la compréhension et au discernement » (Es 27,11).

Ce manque de discernement conduit à la perdition : « Un peuple qui a si peu de discernement va à sa perte » (Os 4,14). Ou à la mort : « ils périrent car ils n’avaient pas de discernement « (Baruch 3,28). Israël doit donc se rappeler qu’il est un serviteur appelé à retourner au Seigneur et à vivre de son pardon.

Telle est sa vocation permanente, jusqu’à ce jour : « Israël, je t’ai façonné comme serviteur pour moi ; toi Israël, tu ne me décevras pas : j’ai effacé comme un nuage tes révoltes, comme une nuée tes fautes ; reviens à moi, car je t’ai racheté » (Es 44,21-22).

 

4. Le discernement, la meilleure chose à demander à Dieu

S’il est un don de l’Esprit saint, il faut donc demander le discernement à Dieu.

Paul le dit au début de sa lettre aux Philippiens : « Voici ma prière : que votre amour abonde, encore et de plus en plus, en clairvoyance et en parfaite sensibilité pour discerner ce qui convient le mieux » (Ph 1,9-10). Cette prière rejoint le songe de Salomon à Gabaon où, à la question de Dieu : « Que dois-je te donner ? », Salomon a demande « un cœur qui écoute et capable de discerner pour gouverner son peuple » (1 Rois 3,9).

Il faut entrer dans le temple pour prier et recevoir le discernement, sinon on est dans le brouillard : « j’ai réfléchi pour comprendre ce qui m’était pénible à voir, jusqu’à ce que j’entre dans le sanctuaire de Dieu et discerne quel serait l’avenir (des impies) (Ps 73,16-17)

Le plus long psaume de la Bible, le psaume 119, est une continuelle invocation à Dieu pour obtenir le discernement : « fais-moi discerner le chemin de tes préceptes » (v. 27)

 

5. Le discernement, une fonction fondamentale

Prudence et discernement ne doivent pas s’éloigner de nos yeux. Ils sont à vivre à chaque instant, selon les proverbes. (Prov 3,21)

Le discernement est donc à exercer sans cesse. Le plus important est de comprendre dans quel temps nous vivons: celui de la mystérieuse présence du Royaume de Dieu parmi nous. Jésus interpelle les responsables de son peuple sur le vrai discernement, celui du temps de grâce arrivé avec sa venue : « Hypocrites ! vous savez discerner l’aspect de la terre et du ciel ; comment ne discernez-vous pas ce temps-ci ? » (Luc 12,56)

L’apôtre Paul appelle constamment au discernement dans ses exhortations à la fin de ses épîtres :

« N’éteignez pas l’Esprit, ne méprisez pas les paroles de prophètes, examinez tout avec discernement, retenez ce qui est bon, tenez-vous à l’écart de toute sorte de mal », écrit-il aux chrétiens de Thessalonique (1 Thess 5,19-22). Depuis plus de trente ans, ce verset m’accompagne, comme une « Parole de Vie » dans mon engagement œcuménique, que je considère avant tout comme un exercice constant de discernement.

Sans doute, le passage le plus important des lettres de Paul au sujet du discernement est le début de Romains 12 où la capacité de discernement est considérée comme une réponse à l’amour de Dieu manifesté en Christ. Elle est le fruit du renouvellement de notre intelligence rendu possible par notre union au Christ : « Je vous encourage donc, mes frères, au nom de toute la magnanimité de Dieu, à offrir votre corps comme un sacrifice vivant, saint et agréé de Dieu ; voilà quel sera pour vous le culte conforme à la Parole. Ne vous conformez pas à ce monde-ci, mais soyez transfigurés par le renouvellement de votre intelligence, pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, agréable et parfait. » (12,1-2)

F. Leenhardt écrit au sujet de ce passage : « Son être intérieur ainsi transformé, le croyant est libre dans son jugement, il n’est plus « sous la loi du péché » (Rom 8,2), il peut décider de son action avec discernement et s’engager comme une personne morale…Le discernement trouve sa source et son critère dans l’amour de Dieu manifesté en Christ. Le croyant invente une conduite qui est sa réponse à l’agapè divine dans la circonstance donnée ». (L’Epître aux Romains, 1957, p. 172)

On retrouve ailleurs chez Paul cet appel au discernement : « Discernez ce qui est agréable au Seigneur » (Eph 5,10). Il appelle aussi à « discerner les choses les meilleures, afin que vous soyez purs et irréprochables pour le jour de Christ » (Phil 1,10). Paul demande aussi de « discerner le corps » lorsque le repas du Seigneur est célébré (1 Cor 11,29).

Et la lettre aux Hébreux invite à « discerner ce qui est bon et ce qui est mauvais », comme une vigilance permanente à exercer.  (5,14)

 

6. Le discernement, une responsabilité éminente des bergers

Les faux bergers ne l’exercent pas, car ils suivent leurs propres voies et sont intéressés par le gain : « ils sont des chiens au gosier vorace. Ils ne savent pas dire : « assez » et ce sont eux les bergers ! Ils ne savent rien discerner, chacun d’eux se tourne vers son propre chemin, chacun vers sa rapine ». (Es 56,11)

Le rôle du roi est de bien discerner entre le bien et le mal : « le roi, quand il siège au tribunal, discerne tout mal du regard » (Prov 20,8). Mais les mauvais rois se laissent entraîner par les idoles.

Chaque croyant reçoit la capacité donnée par Dieu pour discerner les vérités de la Parole de Dieu, mais la responsabilité des pasteurs est de les distinguer des doctrines trompeuses. C’est ainsi que Paul appelle son disciple Timothée – devenu épiscope – à discerner les « esprits séducteurs » qui enseignent des mensonges et même des « doctrines de démons » (I Tim 4,1-3) !

Repérer les distorsions doctrinales qui ravagent l’Église est une haute responsabilité du ministère ordonné. Sa vocation est d’« exposer avec droiture » la Parole de Dieu (2 Tim 2,15). Ce discernement est à vivre de manière personnelle, collective (dans un conseil) et communautaire (dans un synode).

 

7. « Le discernement des esprits »

La première lettre de Jean lance ce solennel avertissement : « Bien-aimés, n’ajoutez pas foi à tout esprit ; mais discernez les esprits, pour savoir s’ils sont de Dieu, car plusieurs faux prophètes sont venus dans le monde ». (1 Jean 4.1)

Le discernement des esprits fait partie des dons de l’Esprit saint que Paul énumère dans la première aux Corinthiens : « A chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien de tous. A l’un, par l’Esprit, est donné un message de sagesse, à l’autre, un message de connaissance, selon le même Esprit… à tel autre, de discerner les esprits…Mais tout cela, c’est l’unique et même Esprit qui le met en œuvre, accordant à chacun des dons personnels divers, comme il veut » (12,9-12)

Que signifie cette expression « discernement des esprits » (en latin : discretio spirituum et en grec : διακρισεις πνευματων)

Le discernement des esprits veut déterminer l’origine des forces qui agissent sur notre volonté humaine : proviennent-elles de nos pensées, de nos émotions, des esprits mauvais ou de l’Esprit de Dieu ?

Jésus qui connaissait ce qu’il y a dans le cœur de l’homme l’a pratiqué sans cesse (Mat 9,4 ; Jean 2,24).

A sa suite, grâce au don du discernement des esprits, l’apôtre Pierre a reconnu l’esprit de méchanceté qui habitait le cœur de Simon, un nouveau baptisé (Actes 8,23).

L’apôtre Paul rempli du Saint-Esprit, fut aussi rendu conscient de l’esprit de ruse qui habitait le magicien Élymas (Actes 13,6-12) et il a pu discerner « l’esprit de Python » qui habitait une servante, en disant à cet esprit : « Je t’ordonne, au nom de Jésus Christ, de sortir d’elle. Et il sortit à l’heure même ». (Actes 16,16-18).

Le don de discernement augmente à mesure que nous croissons en maturité spirituelle. Selon la lettre aux Hébreux, un croyant doit grandir grâce au lait de la Parole de Dieu pour sortir de l’état d’enfance spirituelle et devenir capable de distinguer le bien du mal. L’Esprit de Dieu lui apprend à distinguer non seulement le bien du mal, mais aussi à distinguer ce qui est bon de ce qui est le meilleur. (Héb 5,13-14)

 

8. Qu’est ce qui permet de discerner ?

La Bible mentionne plusieurs moyens. En voici quatre :  

  • Avant tout la Parole vécue: « grâce à tes préceptes, j’ai du discernement » (Ps 119, 104). En la mettant en pratique les jeunes reçoivent le discernement (Prov 1,4). En effet la Parole donne du discernement au simple (Ps 119,30).
  • La prière: Comme nous l’avons déjà vu, il faut demander le discernement à Dieu : « donne-moi du discernement selon ta Parole » (Ps 119,169). Car c’est l’Esprit saint qui permet le discernement : « tu leur as donné ton bon esprit pour qu’ils aient du discernement » (Neh 9,20). Le Seigneur le donne en réponse à la prière : « que le Seigneur te donne le discernement et de l’intelligence lorsqu’il t’établira sur Israel, pour garder la loi du Seigneur ton Dieu » (1 Chron 22,12). Le Seigneur est fidèle et donne le discernement à qui le lui demande : « j’ai prié et le discernement m’a été donné (Sag 7,7).
  • L’écoute: Il faut apprendre à bien écouter pour discerner : « Écoute Israël les préceptes de vie, prêtez l’oreille pour apprendre à discerner » (Baruch 3,9). L’écoute conduit à la sagesse qui donne la « perfection du discernement « (Sag 6,15)
  • La pratique de la justice permet aussi de discerner. La justice qui est une des formes de l’amour permet de voir clair, comme le dit ce grand texte du prophète Esaïe : « Si tu éloignes du milieu de toi le joug, les gestes menaçants et les discours malfaisants, si tu offres à l’affamé ce que tu désires toi-même, si tu rassasies l’affligé, ta lumière se lèvera dans les ténèbres, et ton obscurité sera comme le midi. » (Esaïe 58,9-10 ). Le discernement advient donc non seulement en se mettant à genoux dans la prière, mais aussi en tendant les mains vers son prochain dans la justice et la charité.
  • 9. Les fruits du discernement 

Parmi ses nombreux fruits, j’en mentionne trois : l’interprétation de la Parole de Dieu, l’orientation et la vie :

  • L’interprétation de la Parole de Dieu: « c’est le moment d’avoir du discernement : celui qui a de l’intelligence, qu’il interprète le chiffre de la bête », affirme le voyant de l’Apocalypse (Ap 13,18). Il permet en effet de lire la Parole de Dieu prophétique avec compréhension : « qui est assez sage pour discerner ces choses et assez intelligent pour les connaître », lit-on à la fin du livre d’Osée (14,10 ; cf. Psaume 107,43).
  • L’orientation : le discernement permet de garder la parole-loi de Dieu (1 Chr 22,12) et de comprendre dans quelle direction avancer, quels choix il faut faire dans telle ou telle situation. C’est ainsi que les fils d’Issakar savaient « discerner les temps afin de connaître ce que devait faire Israël » (2 Chr 12,33).
  • La vie: « donne-moi du discernement et je vivrai » (Psa 119,144). Le discernement est « vie pour ta gorge et grâce pour ton cou » (Prov 3,22). Gorge et cou par où passe la respiration vivifiante et où la femme étale ses bijoux. Il nous préserve du malheur, comme la sagesse, la connaissance et la raison (Prov 2,11) et nous donne de vivre dans la reconnaissance des bienfaits de Dieu (Sag 8,21).

 

Martin Hoegger

1 TOB, Ed. du Cerf et Société biblique française, Paris, 1988, p. 2260.

2 https://www.revue-christus.com/article/le-discernement-des-esprits-4395


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