Jesus et samaritaine

Jésus, un homme de dialogue, fondement d’une spiritualité de la rencontre.

          Comment rencontrer les autres ? Comme chrétiens, la méditation sur la vie de Jésus nous offre une clé. Jésus a en effet été une personne de la rencontre. Il n’était pas un philosophe de salon, mais marchait sur les routes et se laissait aborder.

             Il s’intéressait aux personnes, les écoutait, leur posait des questions, n’excluait personne, acceptait de changer son avis. Parfois il les interpellait et avec certains, il parlait de sa vie intérieure et de son dialogue permanent avec celui qu’il appelait « Abba », père.   

          Dans le récit des Rameaux, nous voyons comment Jésus désire la rencontre et le dialogue.

          Aux pharisiens qui lui demandent de faire taire ses disciples, il répond : « Si eux se taisent, ce sont les pierres qui crieront ». Il est la Parole, qui est venue dans ce monde afin de faire naître une rencontre avec Dieu et entre les hommes.

          Puis quand il est devant Jérusalem, il pleure sur la ville. Pourquoi pleura-t-il ? Parce que, dit-il « tu n’as pas reconnu le temps où tu as été visitée ». Quand Jésus va à la rencontre des hommes, il s’attend à ce qu’il y ait une réponse de leur part. Et il souffre d’être rejeté. Il souffre que la rencontre ne puisse avoir lieu.

          Pour nous chrétiens, la rencontre n’est donc pas une doctrine, mais consiste à suivre une personne, dont la vie a été une relation constante, dans ses dimensions autant horizontale que verticale. 

            En méditant sur la vie de Jésus et en vivant ses paroles, on s’entraîne à une « spiritualité de la rencontre » qui peut avoir les caractéristiques suivantes :

  • La rencontre selon l’Evangile, c’est tout d’abord n’exclure personne. Il s’adresse à tous et ne connaît aucune forme de discrimination.  
  • Cet art de la rencontre consiste ensuite à faire le premier pas, sans attendre que l’autre s’intéresse à nous, comme Jésus qui a pris l’initiative de nous aimer, alors que « nous étions encore pécheurs » (Rom. 5,8).  
  • Rencontre l’autre signifie le considérer comme soi-même. Vivre la règle d’or, que l’on trouve sous une forme ou une autres dans toutes les religions et spiritualités: « Fais à l’autre ce que tu voudrais qu’il te fasse ».  
  • Rencontrer l’autre veut dire rencontrer l’image de Dieu. Se rappeler qu’on peut fort blesser Dieu en jugeant son frère. C’est aussi se souvenir de la présence secrète de Jésus chez les plus vulnérables, malades, prisonniers et étrangers : « Tout ce que vous avez fait au plus petit de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mat. 25,40).
  • Rencontrer un étranger veut dire accueillir sa richesse. Les personnes étrangères ont tant de richesses à nous offrir ; elles nous transmettent leur culture, qui ouvre notre esprit à de nouveaux horizons. C’est également se rappeler de Jésus, venu en étranger parmi nous pour nous apporter sa « culture du ciel », qui est l’amour réciproque vécu dans la communion avec son Père.
  • Rencontrer, c’est regarder l’autre sans le juger. Le regard peut être une arme terrible, qui ignore l’autre, mais il peut aussi devenir une force qui le ressuscite. Dans l’antiquité grecque les esclaves étaient appelés aprosôpos, ceux qui n’ont pas de visage. Regarder l’autre sans le voir, c’est nier sa personnalité. En rencontrant une personne un étranger, on peut être habité par des préjugés et des peurs. Ce parasitage intérieur brouille la rencontre. Il s’agit d’être attentif à ce qui nous habite. Quel est notre regard ? Quel a été le regard de Jésus ? Lui, il a fait exister les personnes par la confiance qui émanait de lui.
  • Rencontrer, c’est respecter l’identité de l’autre. Ne pas exercer de pressions sur lui, ni l’enfermer. C’est reconnaître l’autre comme autre, tel qu’il est, comme un sujet et non pas comme un être à conquérir.  
  • Rencontrer, enfin, c’est « se faire tout à tous ». L’apôtre Paul est notre maître dans cet art, lui qui s’est donné entièrement à tous, en se faisant juif avec les juifs, fort avec les forts, fragile avec les fragiles, grecs avec les grecs (1 Cor. 9,19-22). Là aussi notre modèle est Jésus, qui pour nous rejoindre s’est « vidé de lui-même », comme le dit Paul (Phil. 2,7). En me vidant de moi-même, par amour de Jésus, je crée en moi un espace où l’autre est accueilli. Cela n’est pas facile et demande un entraînement continuel, car nos affections, nos idées, notre volonté d’avoir raison ou de nous défendre nous collent à la peau. Mais ce vide de soi est le secret de la rencontre.  
  • Raconter nos histoires de vie. Dans toute rencontre avec des chrétiens, les « autres » ne sont pas un groupe à  étiqueter. Ce sont avant tout des personnes membres du corps du Christ. Ce sont des frères et soeurs dans le Seigneur. A l’aube du mouvement oecuménique, le premier président de Foi et Constitution, Charles Brent, a donné à la première  conférence de Lausanne, en 1927, cette attitude très simple mais vraiment fondamentale: « Considérons tous les chrétiens, de quelque nom qu’ils se nomment, comme des frères aimés ».[1]Pour nous découvrir frères et sœurs, nous avons besoin de prendre le temps de la découverte en racontant nos histoires de vie. Il s’agit de créer des espaces qui favorisent une atmosphère de confiance et de partage.
  • Souligner le positif chez l’autre. En nous connaissant mieux les uns les autres, on découvre les beautés théologiques, cultuelles et pastorales des autres églises. On le vit, par exemple, très concrètement lors des célébrations de la Parole, chaque premier dimanche du mois, à la Cathédrale de Lausanne. A tour de rôle chaque église membre du CECCV prépare un culte selon sa tradition, en invitant les autres églises  On passe d’une attitude schismatique à une attitude symphonique, comme l’écrit S. Keshavjee : « Selon l’attitude schismatique, je considère : « Mon Eglise a raison, les autres Eglises ont tort ». Selon l’attitude symphonique, je considère : « Les autres Eglises ont leurs raisons et mon Eglise a aussi ses torts ».[2] Cela signifie aussi qu’on utilisera un langage adéquat et respectueux pour décrire les autres églises: un langage inclusif plutôt qu’exclusif. On s’intéressera davantage à ce qu’elles apportent de positif, plutôt que de mettre en évidence leurs lacunes ou leurs faiblesses. 
  • Mettre en valeur tout ce qu’on a en commun. La rencontre avec les autres églises nous conduit à réaliser que ce qui nous relie est beaucoup plus fort que ce qui nous sépare. Une question intéressante à  nous poser les uns aux autres est « qu’est ce qui nous relie »? Très vite on se rend compte que la balance penche toujours du même côté. En définitive, c’est le Christ vivant qui nous rassemble dans son corps.
  • Voir le Christ en chacun. Un père du désert disait : « Si tu es en prière et que ton frère entre dans ta chambre et te demande une tisane. Quitte ta chambre et va la lui préparer, car le Dieu vers lequel tu vas est plus grand que celui que tu quittes. » D. Bonhoeffer soulignait l’importance de la vie communautaire en écrivant : « Le Christ dans ton propre cœur est plus faible que le Christ dans la parole du frère. »[3]
  • Aimer l’église de l’autre comme la sienne. Le frère étranger à rencontrer n’est pas seulement celui de mon église, mais aussi celui de l’autre église. Il est à chercher et à connaître, ainsi que son église. Dans notre époque d’ouverture, le commandement de l’amour du prochain est à élargir: « Tu aimeras l’Eglise de l’autre comme la tienne. »
  • Voilà les différents points de cette spiritualité de la rencontre. Demandons à l’Esprit saint de nous aider à les vivre. Lui s’y connaît en rencontre, puisqu’il est celui qui fait rencontrer le Père et le Fils dans une relation de plénitude de joie et de don. Qu’il vienne sur nous et nous donne de nous rencontrer comme Jésus rencontrait les personnes sur son chemin.

 


[1] Actes officiels de la Conférence mondiale de Lausanne, 1927. Paris, Attinger, 1928, p. 9.

[2] Prédication donnée à la cathédrale de Lausanne, 23 janvier 2000. Voir son livre : « Vers une symphonie des Eglises »,  S. Augustin – Ouvertures; S. Maurice, Le Mont-sur-Lausanne, 1998.

[3] Dietrich Bonhoeffer, De la vie communautaire. Labor et Fides, Genève.


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