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L’amour des ennemis (Luc 6,27-36)

              Engagé depuis de longues années dans le dialogue interreligieux, je sais l’importance d’être à la fois bien enraciné dans ma propre foi et ouvert aux autres. Pour pouvoir dialoguer avec des membres d’une autre religion, je dois être au clair avec ma propre identité. Sur le plan théologique, ce coeur est, pour moi, le mystère de la Trinité. Et sur le plan éthique, c’est l’amour des ennemis. C’est ce point que j’aimerais développer aujourd’hui.

               L’amour des ennemis est, à mon sens, l’enseignement éthique le plus exigeant de l’Evangile. Tertullien disait qu’il est « la marque du christianisme ». Est-il praticable? Est-il possible ? Avant de répondre à ces questions. Laissons le texte parler.

             D’abord Jésus utilise le verbe faire. L’amour des ennemis est concret et actif. Il est un faire, pas d’abord un sentiment: « Faites du bien à ceux qui vous haïssent », dit Jésus. L’histoire du Bon samaritain l’illustre. Celui-ci «  fait la miséricorde« , en venant en aide à un juif, son ennemi héréditaire.

            L’apôtre Paul est dans la même veine que Jésus, quand il dit : « Si ton ennemi a faim donne lui à manger, s’il a soif donne-lui boire…Ne te laisse pas vaincre par le mal. Soi au contraire vainqueur du mal par le bien.  » (Rom. 12,19-21

            Paul scellera ses paroles par le sang. Durant les 300 premières années, durant lesquelles le christianisme fut persécuté, on ne voit pas de chrétiens se défendant contre leurs persécuteurs avec des armes. La résistance passive et la non-violente ont été la méthode par laquelle la violence de l’empire romain a été vaincue.

            Dans le contexte hellénistique de l’époque, la norme était la haine de l’ennemi. Est-ce que cela a beaucoup changé aujourd’hui? Le philosophe  Lysias disait : « Je considère comme un fait établi que l’on doit faire du tort à son ennemi et être au service de ses amis ».

            Il y a toutefois quelques exceptions, comme  Socrate : « la vraie sagesse exclut de rendre le mal pour le mal. La vengeance accentue encore le mal et l’injustice ».

            Dans la communauté de Qumram, on vouait une haine éternelle aux ennemis d’Israel. Jésus a pu rencontrer ces fanatiques.  Pour lui, au contraire, l’amour embrasse tous les humains. Il invite à modeler sa conduite sur Dieu lui-même : à être miséricordieux comme lui, qui n’exclut personne, faisant lever son soleil sur tous.

            Cette motivation à imiter Dieu pour devenir son enfant va bien au-delà de la littérature de l’époque. Le seul motif pour aimer son ennemi est  l’imitatio Dei. Aimer son ennemi n’est pas une stratégie missionnaire pour le convertir. J’aime mon ennemi, parce que Dieu l’aime.

 

Qui écoute Jésus ?

            Les 12 apôtres et un large public composé de juifs et non juifs. Ces paroles de Jésus ont un aspect universaliste. Elles s’adressent à tous. Comment les avons-nous écoutées ? Ce qui est important, c’est d’écouter. L’important n’est pas notre origine ethnique ou religieuse. Même le fait d’appartenir aux apôtres n’offre pas une sécurité. Dans l’Evangile, Judas le trahira,  Pierre le reniera, Jacques et Jean voudront exterminer des samaritains, un apôtre coupera l’oreille d’un serviteur pour défendre Jésus. Voilà des transgressions évidentes de l’amour des ennemis.

            Mais quand on regarde comment Jésus se comporte devant ses ennemis, en particulier dans les derniers instants tragiques de sa vie, on se rend compte que ce qu’il dit n’est pas théorique. Les évangiles nous dépeignent un Jésus vivant ce qu’il dit.

            Pour Jésus, l’amour des ennemis devient le critère de l’éthique. Le simple amour ne suffit pas, car « même des pécheurs aiment ceux qui les aiment ». Ce qui surprend ce n’est pas l’amour en soi, mais son objet: ceux qui sont à aimer sont nos ennemis.

 

Qui est l’ennemi?

            L’ennemi peut être personnel, mais aussi collectif: un peuple ou des armées étrangères. L’ennemi est celui qui me blesse. L’ennemi peut se révéler de manière inattendue, subitement. Il peut être dans ma famille, dans mon voisinage dans l’Eglise. Mon enfant peut devenir mon ennemi. Je me souviens dans un groupe qu’une personne s’était fortement opposée à moi. Elle m’a dit alors une parole qui m’a marqué: « Maintenant, je suis devenu ton ennemi ».

            Que faire pour manifester l’amour envers nos ennemis. Jésus propose trois choses:

– Faire du bien. Aimer ne se manifeste pas par des sentiments, mais par des actes concrets de gentillesse et de bienveillance.

– Bénir, c’est à dire montrer une attitude amicale, en disant des paroles de bonté.

– Prier pour nos ennemis.

            Au sujet de la prière, j’aimerais conclure par ces paroles d’un moine russe, Silouane : « C’est une grande œuvre devant Dieu que de prier pour ceux qui nous offensent et qui nous font souffrir. En retour, le Seigneur te donnera la grâce, tu connaîtras le Seigneur par le Saint-Esprit et tu supporteras avec joie toutes les afflictions à cause de lui. Le Seigneur te donnera d’aimer le monde entier ; tu désireras ardemment le bien pour tous les hommes et tu prieras pour tous comme pour toi-même. Le Seigneur nous a dit « Aimez vos ennemis », et celui qui aime ses ennemis est semblable au Seigneur. Mais on ne peut aimer ses ennemis que par la grâce du Saint Esprit. C’est pourquoi, dès que quelqu’un t’a blessé, prie Dieu pour lui, et tu garderas la paix et la grâce divine».

J’ajoute encore cette belle prière du même Silouane:

Seigneur, apprends-nous par ton Esprit Saint
à aimer nos ennemis et à prier pour eux avec des larmes.
Seigneur, répands l’Esprit Saint sur la terre
afin que tous les peuples te connaissent et apprennent ton amour.
Seigneur, comme tu as prié pour tes ennemis,
ainsi apprends-nous, à nous aussi, par l’Esprit Saint, à aimer nos ennemis.
Seigneur, tous les peuples sont l’œuvre de tes mains ; détourne-les de la haine
et du mal vers le repentir pour que, tous, ils connaissent ton amour.
Seigneur, tu as donné le commandement d’aimer les ennemis,
mais cela nous est difficile, à nous autres pécheurs, si ta grâce n’est pas avec nous.
Seigneur, répands ta grâce sur la terre ;
donne à tous les peuples de la terre de connaître ton amour,
de connaître que tu nous aimes comme une mère,
et plus qu’une mère : une mère peut oublier son enfant,
mais, toi, tu n’oublies jamais, car tu aimes sans mesure ta créature,
et l’amour ne peut oublier.
Seigneur miséricordieux, dans la richesse de ta bonté, sauve tous les peuples.


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