Guerison de laveugle

Le regard de Jésus et le nôtre.

Jésus s’arrête devant le mendiant aveugle.
Les disciples aussi, mais ils ont un regard différent. Pour eux, il s’agit d’un cas, autour duquel ils commencent une discussion philosophique : « Pourquoi cet homme est-il né aveugle. Est-ce lui qui a péché ou ses parents »?

En effet, selon un courant de pensée de l’époque, le malheur était la conséquence d’un péché.
Quelle est l’attitude de Jésus ? D’abord il ne fait pas de théories sur l’origine du mal. Il réfute cette conception causaliste. « Ni lui, ni ses parents ».
Puis, surtout. Il s’intéresse à la personne qui est devant lui. Alors que ses disciples discutaillent, Jésus s’approche de l’aveugle, s’intéresse à lui, le touche avec tendresse, l’aime concrètement.

 

Le Dieu proche
Et dans son attitude, il révèle quelle est celle de Dieu vis-à-vis du malheur et de la souffrance inexplicables, vis-à-vis de tous nos pourquoi.
Il est le Dieu proche, qui veut nous faire du bien, si nous acceptons d’être touchés, de nous ouvrir à lui.
Comme le disait Claudel, il n’est pas venu expliquer la souffrance, mais l’habiter de sa présence.
Afin de tout vivre avec nous, comme nous et pour nous, sur la croix, les yeux de Jésus se fermeront et il entrera dans l’obscurité de la mort. Mais la mort ne le retiendra pas et elle sera vaincue par la lumière de Pâques.
Donc devant la souffrance de l’innocent, le Seigneur n’explique pas, ne rationalise pas, ne condamne pas, ne critique pas, ne cherche pas des boucs émissaires. Il ne se décharge pas non plus de sa responsabilité de solidarité, il ne passe pas son chemin comme feraient tant de personnes devant un mendiant.
Non, Jésus s’arrête, lui parle avec respect. Il s’intéresse à lui et lui donne un geste de tendresse. 
Et s’il a fait cela avec ce mendiant il y a deux mille ans, il le fera aussi avec les millions de mendiants qui sont aujourd’hui sur les routes du monde, et même dans nos rues.
Et comment le fera-t-il ? Uniquement à travers nous !
L’attitude de Jésus à la foi révèle l’attitude de Dieu à notre égard, mais elle est aussi un appel à l’imiter.
Cet épisode est donc la réponse directe de Jésus au problème lancinant des mendiants de plus en plus présents dans nos villes.
Nous n’avons pas à fermer les yeux sur eux, ni à décharger notre responsabilité sur d’autres. Nous avons à nous arrêter devant eux, à les regarder, à leur manifester de l’humanité, de leur donner un sourire. C’est ce dont ils ont d’abord besoin, plus que de l’argent.

 

Le moment de Dieu et le moment de l’homme
Jésus ne s’est pas seulement arrêté pour regarder l’aveugle, s’intéresser à lui et lui parler. Il lui a touché les yeux avec de la boue.
Puis il l’a invité à aller laver ses yeux à la piscine de Siloé.
Il y a donc deux moments dans cette guérison. Le moment de Dieu et le moment de l’homme. La part de Dieu et la part de l’homme.
Nous avons à prier les uns pour les autres, particulièrement pour ceux qui vivent des fragilités et qui ont des grands besoins, les apporter devant Dieu, comme les amis qui ont amené le paralytique aux pieds de Jésus. Prier comme des anges, en particulier en se mettant à deux ou trois, pour apporter les immenses besoins des hommes devant Dieu. Prier ensemble en nous mettant d’accord les uns les autres, avec cette confiance que Jésus est parmi nous et apportera notre prière auprès de son Père et notre Père :
 » Je vous le déclare encore, si deux d’entre vous, sur la terre, se mettent d’accord pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père qui est aux cieux. Car, là où deux ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Matthieu 18, 19s)
Mais nous avons aussi à faire notre part. A aller à la piscine de Siloé pour laver nos yeux. Comptant sur Dieu, nous avons à nous engager concrètement, avec amour, avec persévérance et imagination, en nous organisant et en coordonnant nos actions diaconales.
Et le mendiant aveugle est guéri.

 

Laver ses yeux
J’aimerais vous raconter une histoire qui m’a beaucoup touché.
C’était un samedi où je préparais la prédication du lendemain. (Les samedis d’un pasteur sont souvent consacrés à cet exercice particulier). Je méditais sur le passage de Paul, où il écrit : « Soyez bien d’accord entre vous: n’ayez pas le goût des grandeurs, mais laissez-vous attirer par ce qui est humble » (Lettre aux Romains 12,6). J’ai alors réfléchi sur le thème de l’humilité comme chemin vers l’accord, la paix et l’unité. Une chose valable dans tous les domaines, non pas seulement dans l’Eglise.
J’ai été invité par la paroisse où j’habite, le Mont sur Lausanne. Et j’ai voulu proposer quelques exemples. Par quel genre d’humilité pourrions-nous nous laisser attirer ? M’est venue alors l’idée de dire à l’assemblée : « Et si à la sortie de cette église se trouve un mendiant, vous laisserez-vous attirer par lui » ? Mais j’ai repoussé rapidement cette idée. Tout à fait irréaliste : on n’avait jamais vu alors un mendiant à la sortie du culte de ce temple ! (Mais cela a changé depuis!)
Or le lendemain, à la sortie du temple, qui vois-je, appuyé contre le mur ? Un mendiant ! L’idée d’hier m’est revenue immédiatement à l’esprit. Ce jeune mendiant, c’était Dieu qui me l’envoyait, il voulait me dire quelque chose à travers lui. Je l’ai alors invité à prendre l’apéritif et nous avons fait connaissance. Il venait de Bulgarie et voulait y retourner le plus vite possible. En le quittant, je lui propose de revenir le soir pour une autre rencontre.
Le soir venu, il était là, attentif. J’avais parlé du non-jugement à partir de la parole de Jésus : « Moi je ne juge personne ». Un symbole a été alors proposé pour signifier notre besoin d’être guéri de notre propension à juger autrui sur des critères extérieurs : un geste de « lavement des yeux ». Chacun était invité à recevoir un peu d’eau dans la paume de la main et à la mettre sur ses yeux. Et le jeune mendiant a fait également ce geste. A la fin de la rencontre, j’étais heureux de voir qu’un jeune du groupe des jeunes de la paroisse discutait avec lui.
Cette petite expérience m’habite à chaque fois que mon chemin croise un mendiant. Je ne peux plus rester indifférent, même si je me sens terriblement démuni. Comment se comporter avec eux d’une manière qui soit digne de l’accueil du Christ, qui disait « Je ne rejetterai personne qui vient à moi » ? Cette question, la communauté de Sant’Egidio se la posait aussi dans un courrier qu’elle avait envoyé  à ses amis : « nous pensons que l’Evangile et l’histoire du christianisme nous enseignent à développer une autre attitude vis-à-vis des mendiants que de les tenir à distance. Parce que nous reconnaissons le visage du Christ dans celui du pauvre, un Christ pauvre, méprisé, rejeté », écrit-elle.
Jean Chrysostome avait déjà tout dit quand il écrivait au 5e siècle, dans une Constantinople opulente : « C’est Dieu qui vous envoie ce pauvre, il tient pour fait à lui-même ce que vous lui ferez. Dites-lui une parole de consolation, cette parole relèvera son âme accablée par la misère; l’accueil que vous lui ferez sera plus doux que l’aumône même ».

 

Le vrai baptême
Dieu répond à nos prières et à notre amour concret manifesté envers la personne dans le besoin. Que celle-ci soit malade physiquement ou psychiquement. Quelle-ci soit un étranger mendiant dans nos rues ou un riche pétrolier dans une suite du Lausanne Palace.
C’est l’amour qui guérit. Dans la suite du texte de la guérison de l’aveugle né, les pharisiens sont furieux que Jésus ait guéri ce mendiant. Et ils le rabrouent. Leur cœur est froid, leurs paroles sont critiques et sans tendresse.
Le jugement, la critique, la froideur du cœur ne changent rien. Seuls la prière persévérante et l’amour concret peuvent changer quelque chose. Et apporter une guérison, si Dieu le veut. En tout cas, un encouragement et une lumière intérieure dans le cœur : cela Dieu le donne toujours, comme fruits conjugués de notre foi et de notre amour.
C’est cela vivre notre baptême : avoir un regard neuf sur chacun. Se laver les yeux pour enlever tout regard hautain, méprisant. Se laver nos lèvres pour ôter toute parole dure. Se laver notre cœur pour ôter toute dureté.
Le vrai baptême, dont le baptême d’eau est le signe, est le baptême du Saint Esprit qui verse dans nos cœurs l’amour du Christ, l’attitude qu’il avait lorsqu’il rencontrait chaque personne. Afin qu’à travers nous, il continue à agir et apporte sa lumière dans toute obscurité.


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