La cene Cranach, Wittenberg

La sainte cène, sacrement de l’unité

La cène selon L. Cranach, WittenbergNous disons à juste titre que le repas du Seigneur est une nourriture. Nourriture de notre âme comme le pain matériel nourrit notre corps. Jésus le dit quand il parle de lui comme « du pain vivant descendu du ciel ».

Dans la demande du notre Père « donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour », nous pouvons également découvrir ces deux dimensions du pain : le pain matériel et le pain spirituel qui nous nourrissent.

Cependant aujourd’hui, j’aimerais insister sur un autre aspect de la sainte cène, à savoir qu’elle crée l’unité entre nous. Et je le montrerai à la lumière du texte de Paul, le plus ancien sur l’eucharistie. (1 Cor. 11, 17-33).

 

I. La résurrection annoncée et célébrée, source de l’Eglise

En parlant de la cène, Paul y engage son autorité de façon absolument solennelle : « ce que j’ai reçu du Seigneur, je vous le transmets : le Seigneur Jésus, dans la nuit où il faut livré… » Il utilise la formule « ce que j’ai reçu du Seigneur… ». La même qu’en 1 Cor. 15 où il montre que la résurrection est le fondement de l’Eglise : si le Christ n’est pas ressuscité, nous avons cru en vain et l’Eglise n’existe pas : « Je vous ai transmis en premier lieu ce que j’avais reçu moi-même : Christ est mort pour nos péchés selon les Ecritures. Il a été enseveli, il est ressuscité le troisième jour, selon les Ecritures ».
Ceci est un fait très significatif : pour Paul, l’Eglise est construite sur les deux piliers de la Résurrection et de l’Eucharistie. L’Eglise naît de la Parole de la Résurrection lue dans l’Ecriture, annoncée par les disciples du Christ et célébrée dans la sainte Cène.

Une expérience douloureuse

Il y a quelques années, j’ai participé à un colloque universitaire sur la Résurrection de Jésus. Une pasteure suisse y avait dit que pour elle la résurrection ne s’est passée que dans l’esprit des disciples. L’important est que le projet de Jésus continue chez ceux qui sont ces disciples, mais qu’à vrai dire il est secondaire que Jésus soit vraiment ressuscité. Et elle ajoutait : les os de Jésus sont quelque part dans la poussière de Palestine.
J’ai été assez choqué par ces allégations. Et je n’ai pas été le seul. On touche là une des limites de l’extrême pluralisme du protestantisme, qui accepte en son sein, au nom de la liberté de pensée, des ministres dont les positions se situent en dehors de la foi apostolique. Mais sans Jésus ressuscité, l’Eglise peut-elle se renouveler et rayonner ?

Nous revient alors en mémoire la parole de Paul : si Christ n’est pas ressuscité, notre foi est vaine. Vaine aussi notre célébration de la cène, puisque en elle nous annonçons la mort du Seigneur « jusqu’à ce qu’il vienne ». Paul dit bien : « jusqu’à ce qu’il vienne ». Donc il confesse aussi que ce Jésus qui reviendra est vraiment ressuscité.
D’ailleurs nous le disons à chaque cène, après avoir institué le repas : « Nous annonçons ta mort, Seigneur Jésus, nous célébrons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire ».

Le cœur de l’identité chrétienne

Voilà pour Paul le cœur de l’identité chrétienne. Et pas seulement pour Paul mais aussi pour tous les premiers chrétiens, car Paul dit qu’il a reçu la Parole de la résurrection du Seigneur et de ceux qui l’ont connu. Voilà le cœur de l’identité chrétienne, pas seulement pour les premiers chrétiens, mais aussi pour l’Eglise de tous les temps. Otez le fondement de la résurrection, ôtez la célébration de la résurrection dans la cène, l’Eglise n’est plus le Corps vivant du Ressuscité, mais une corporation comme les autres.

 

II. Divisions dans la communauté de Corinthe

Revenons maintenant à notre texte. Paul doit intervenir dans la communauté de Corinthe, où il y a de graves disfonctionnements. La célébration du repas du Seigneur se faisait alors dans le cadre d’un repas communautaire qui était appelé « agape ». Ce mot signifie « amour », mais à Corinthe, c’était tout le contraire. Dans ces repas les chrétiens étaient divisés et se faisaient plus de mal que de bien.
Comment comprendre cette manière de célébrer la cène dans le cadre d’une agape ? D’abord j’écarte une interprétation, pour qui le repas du Seigneur serait profané par son insertion dans les agapes. Non, ceci n’est pas une bonne interprétation, car les premiers chrétiens célébraient ainsi le repas du Seigneur : dans le cadre d’une agape. Ce qui est en jeu ici n’est pas l’insertion de l’Eucharistie dans un repas, mais la manière dont les chrétiens se conduisent les uns avec les autres. Ce qui est en jeu sont les attitudes destructrices de l’unité fraternelle entre chrétiens.

Le sacrement de l’unité

Pour Paul, la cène est le sacrement de l’unité. Elle célèbre le Christ mort et ressuscité pour tous et qui veut rassembler tous autour de lui. Laisser des coteries et des partis se développer consiste à blesser l’Eglise en tant que telle. L’Eglise est une Eglise de tous et pour tous parce que le Seigneur Jésus est mort et ressuscité pour tous. Célébrer le repas du Seigneur en étant divisé, c’est « mépriser l’Eglise de Dieu », dit Paul avec force. Pour Paul, en effet, le repas du Seigneur s’oppose radicalement à toute division, car il est l’acte même par lequel le Seigneur rassemble son peuple.

Triclininium et atrium

L’histoire et l’archéologie nous permettent de nous faire une image assez concrète de la conduite des Corinthiens. Les chrétiens de cette ville se réunissaient chez Gaius (Rm 15,23), un riche patricien. Or dans une maison patricienne on pouvait réunir 12 à 14 personnes dans la salle à manger du maître (le triclinium) et jusqu’à une cinquantaine de personnes dans une grande pièce, l’atrium. Ce qui laisse supposer que la ville pouvait compter à ce moment environ 70 chrétiens.
Le maître de la maison et ses invités de marque se réunissent dans cette pièce distincte. Selon la coutume de la bonne société, ils commençaient à boire ensemble et ils reçoivent les meilleurs plats. Peut-être le peuple de l’atrium n’était-il même pas nourri, ou, s’il l’était, il ne recevait qu’une maigre pitance provenant des restes.
Il y donc une division insoutenable pour Paul. D’un côté les riches, de l’autre la majorité des chrétiens modestes. Cela va à l’encontre de toute sa compréhension de Jésus, qui a aboli toute division. En lui il n’y ni maître, ni esclave, ni riche ni pauvre, ni homme ni femme. Tous sont membre de son corps.

 

III. Discerner le corps du Christ

C’est pourquoi Paul les invite à « discerner le corps du Christ », au moment où ils reçoivent le pain et le vin. Comment comprendre cette parole ?
On a voulu voir dans ce discernement du corps du Christ uniquement la présence du Christ dans les pain et le vin partagés. Cette interprétation n’est pas fausse, mais elle est partielle. Car pour Paul, il s’agit aussi de discerner le Corps du Christ dans les frères et les sœurs.
« Vous êtes le Corps du Christ », dira-t-il un peu plus loin.
Sur le chemin de Damas, Jésus s’était révélé à Paul, le persécuteur des chrétiens, en lui disant : « Pourquoi me persécutes-tu ? ». Depuis ce jour-là, Paul savait qu’il y avait entre les chrétiens et Jésus ressuscité un lien mystique indestructible.
Dans le repas du Seigneur, en recevant le pain et le vin, les chrétiens deviennent ce Corps du Christ. Le Christ les constitue dans la cène en un seul corps, le sien.

Le sens d’une icône

Je me souviens d’une conférence du professeur Ioan Sauca, le directeur de l’Institut oecuménique de Bossey, sur le thème de la spiritualité et de la mission. Chez les Pères de l’Eglise, a-t-il dit, la spiritualité signifie la « Vie en Christ » et elle est symbolisée dans chaque Eglise orthodoxe par l’icône de Marie portant en elle le Christ. Image de l’Eglise et de chaque croyant appelé à devenir « christophore », porteur du Christ. Cette icône exprime aussi ce qui se passe dans la cène : nous devenons Corps du Christ parce que le Christ vient habiter en chacun. Chacun devient un membre vivant de son corps.

Indicatif et impératif

« Vous êtes le corps du Christ ». C’est un indicatif. Un tel indicatif devient un impératif : les chrétiens doivent se conduire en se souventn toujours de cette réalité.
Comment alors ai-je pris soin de ce membre du Corps du Christ qui est à côté de moi ? Comment ai-je servi Jésus présent dans mes frères et sœurs ? Comment ai-je été attentif en particulier aux plus petits, aux plus malades, aux plus oubliés, aux plus méprisés ? Voilà les questions auxquelles nous avons à méditer avant de recevoir le pain et le vin de la cène.
Et je peux aussi me poser cette question personnellement : si le Christ habite en moi, comment ai-je manifesté sa justice et sa sainteté ?

L’eucharistie remet en cause l’injustice

Parce que nous sommes tous membres d’un même corps et enfants d’une unique famille de Dieu, « toutes les formes d’injustice, de racisme, de séparation et d’absence de liberté sont radicalement mises au défi quand nous partageons le corps et le sang du Christ… » L’eucharistie remet en cause « la persistance de relations injustes de toutes sortes dans notre société, par les nombreuses divisions dues à l’orgueil humain, à l’intérêt matériel et aux politiques du pouvoir, et enfin par l’obstination dans des oppositions confessionnelles injustifiables au sein du Corps du Christ. »[1]

Discernez le corps du Christ !

Aujourd’hui cette parole de Paul nous rejoint : « Discernez le corps du Christ » !
Discernons le corps du Christ en découvrant en chacun la présence de Jésus.
Discernons-le en découvrant le Christ en nous.
Vivons en accord avec ce discernement.
Et participons le plus souvent possible à la cène du Seigneur qui nous rend un les uns avec les autres et avec le Seigneur !

[1] Baptême, eucharistie, ministère. (Eucharistie, no. 20) Genève, COE, 1982

Dossier sur Eucharistie et Unité 

 

Une prière

Esprit saint
Par toi Jésus est le Messie débordant de tous tes dons.
Par toi Jésus s’est donné en aimant jusqu’au bout.
Par toi Jésus est ressuscité des morts au troisième jour.
Par toi Jésus est au milieu de deux ou trois se rassemblant en son nom.
Par toi Jésus nous rencontre quand nous écoutons son Evangile.
Par toi Jésus nous attire à lui dans son baptême de lumière et de vie.
Par toi Jésus nous rassemble comme membres de son Corps.
Par toi Jésus nous nourrit à travers le pain et le vin de la Cène.
Par toi Jésus nous pardonne et nous guérit, nous libère et nous unit.
Par toi Jésus nous envoie dans ce monde que tu soutiens et aimes.
Par toi Jésus nous attend dans les plus petits pour les servir et les relever.
Par toi Jésus nous ouvrira la porte du ciel et nous donnera le baiser de paix.
Par toi Jésus ressuscitera nos corps mortels et nous accueillera dans son Royaume.
Béni sois-tu, Esprit qui procède du Père par le Fils !
Que mon cœur te sanctifie sans cesse !
Que ma bouche t’invoque sans relâche !
Que mes mains s’élèvent toujours vers toi !


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